Jeux vidéo: Art, Sport, ou aucun des deux ?
Il existe sur cette Terre une frange minime de personnes qui peut se payer des jeux vidéo. Et parmi cette part minuscule des gens de la planète, existe une portion encore plus infinitésimale qui croit que les jeux vidéo sont un art. Manque de bol, j'en fais partie. Réfléchissons un instant. Ils racontent une histoire, comme le ferait un livre. Ils ont des scènes cinématiques, comme le cinéma, et des séquences d'introduction et de fin. Ils nous font jouer un rôle dans une histoire, comme un acteur de théâtre. Pour faire les personnages, il faut des infographistes qui sont des "peintres" sur Photoshop pour la 2D, et des "sculpteurs" qui créent les modèles 3D. Du coup, j'ai quand même cité pas mal d'arts: peinture, sculpture, cinéma, théâtre... Mais je m'éloigne. Déjà, pour savoir si les jeux vidéo sont un art, qu'est-ce que l'art ? C'est le genre de mot, à l'instar d'"intelligence" ou de "réalité", qui n'ont pas de définition vraiment précise: demandez à 20 personnes différentes, scientifiques, artistes, historiens et compagnie, ils vous pondront une vingtaine de définitions différentes. Si j'ouvre mon dico Labrousse, j'y lis que l'art est l'"expression idéale et désintéressée du beau". Et du coup, on doit définir "beau", ce qui n'est pas non plus chose aisée: il suffit de voir les gens qui sont en désaccord sur la beauté d'un tableau ou d'une pièce de théâtre (Guernani au hasard). Retour à la case départ. Alors, tenons-en nous aux arts existants, et voyons si les jeux vidéo s'en approchent. Je l'ai déjà montré avec les exemples des similarités entre les jeux vidéo et les autres arts. D'ailleurs, Gabe de chez Penny Arcade a fait un article très intéressant en comparant jeux vidéo et art au XIXe siècle, en concluant que notre période impressionniste ne saurait tarder. L'Anger Pencil du Big Rational Brain a comparé jeux vidéo et théâtre (ce dernière prend l'art selon sa définition aristotélicienne, à savoir qu'il représente la vie telle qu'elle dvrait être et non telle qu'elle est).
Alors, pourquoi les jeux vidéo ne sont-ils pas reconnus comme de l'art ? Le cinéma est devenu Septième Art, le dessin animé le Huitième, la bande dessinée le Neuvième... Que lui manque t'il ? Déjà, tout est dans le nom: JEUX vidéo. Donc, les jeux sont faits pour les gosses. C'est cette idée permanente d'activité immature qui persiste dans le crâne des académiciens, journalistes classiques et du grand public. Il suffit de voir le ramdam causé par la "violence des jeux vidéo", comme si tous les joueurs étaient des enfants qui n'ont pas besoin (et doivent être protégés) de jeux à caractère adulte comme Sanitarium ou Phantasmagoria. Quand les grand médias parlent de jeux vidéo, c'est pour parler de son business ou des LANparties avec des milliers d'euros américains à gagner. Mais je vais revenir sur ce point plus tard. Ainsi, des jouets pour amuser les gosses et adultes attardés ne risquent pas d'être reconnus comme un art. Je pense aussi qu'il manque des noms à mettre dessus. A l'heure actuelle, il est difficile de citer nommément des artistes de jeux vidéo, ces derniers étant parfois pondus par des équipes qui n'ont pas forcément de leader charismatique: par exemple, les Final Fantasy sont faits par SquareSoft, tous les joueurs le savent, mais ne peuvent pas forcément dire qui est le cerveau de la bande d'une centaine de personnes par jeu. En fait, à part Shigeru Miyamoto (Mario, Zelda, StarFox, Pikmin...), Hideo Kojima (Metal Gear, Snatcher, Zone Of The Enders) ou Yu Suzuki (Virtua Fighter, OutRun, AfterBurner, Shenmue), peu de noms peuvent être cités par les gamers.
Et surtout, les éditeurs semblent bien se foutre de voir leur activité reconnue comme un art, car ça ne rapporte pas plus d'argent. Les éditeurs, ceux avec tout l'argent dans les pattes, sont là pour faire du fric et rien d'autre: en les comparant aux autres arts, les producteurs de films blockbusters à grand spectacle iraient bien. Mais cette frange de personnes n'empêche pas le ciné de rester un art, grâce au cinéma indépendant ou d'auteur. Les éditeurs donc, ne prennent que peu de risques et sortent des resucées éternelles d'un même genre (quake-like, RPG et MMORPG, baston) ou d'un même jeu (Tomb Raider, Street Fighter, Final Fantasy), car ça met le joueur en confiance. C'est pour ça que j'adore Sega: avec des concepts comme Crazy Taxi ou Phantasy Star Online, un style graphique comme celui de Jet Set Radio ou Rez, des chefs-d'oeuvre comme Shenmue, ils ont investi beaucoup d'argent dans des projets que tout autre éditeur aurait refusé. Ces autres éditeurs, eux, ne veulent pas du jeu vidéo comme un art: ils veulent le voir comme un sport.
Adrian Carmack (id Software), a un jour dit que Quake 3 Arena était un sport. Angel Munoz, le boss de la CPL (ligue internatinale des jeux en rézo) est passé pour le dernier des cons en proposant des tournois de jeux vidéo au CIO (Comité International Olympique). Et ça n'en finit pas. Y'en a qui prennent du diazepam avant de jouer à CounterStrike (pour réduire les tremblements, comme dans Metal Gear Solid). Y'en a qui gagnent un fric fou et qui veulent gagner leur vie à jouer, ils surveillent même leur alimentation et s'entraînent des journées entières. Y'en a qui étudient les stratégies de guerre de Napoléon ou des romains pour les recoller dans StarCraft et Age Of Empire. Mais je parle particulièrement du cas des Quake-like, que les médias - aidés par les éditeurs - rapprochent le plus d'un sport. C'est pratique comme rapprochement, car ça apporte les sponsors et donc encore plus de pognon. Mais ça tue le genre. Depuis que Quake est devenu un jeu de référence pour les tournois, trop de jeux ont été sous-estimés même s'ils étaient meilleurs (au hasard, les productions Monolith). Même chose avec Blizzard, qui a gagné sa place dans le milieu du jeu de compèt' avec Warcraft: quand Starcraft est sorti, il fut reconnu comme jeu officiel pour les concours avec des milliers de pétro-dollars à la clé, même si Total Annihilation sorti 6 mois avant était bien meilleur. Ca tue aussi la réputation du jeu vidéo, et ça ne sera jamais reconnu comme un sport à part entière: pour brûler des calories, je connais de meilleures disciplines sportives. En fait, la seule chose qui rapproche vraiment les jeux du sport, c'est le côté mercantile, caché derrière des "ligues" et des systèmes de "divisions internationales" pour organiser les "compétitions". Appelez cela comme ça vous chante, le but final reste du fric, pas une jolie médaille ou le plaisir de participer. Pierre de Coubertin doit se retourner dans sa tombe.
Et surtout, les jeux qui sont mis en avant lors de ces évènements sont les derniers jeux qui peuvent être considérés comme de l'art. C'est évident, on ne fait pas de l'art sur la base de la compétition. Résultat, le jeux vidéo considérés comme "innovants" ou "alternatifs" restent à l'écart. Pendant combien de temps ?
En bref, les jeux vidéo ne sont pas reconnus comme un art, à cause de la réputation immature qu'ils ont et qui est entretenue jusque dans les rangs de ceux qui se font de l'argent avec. En étant comparé à du sport, le jeu vidéo n'a rien à gagner: il se ridiculise et tourne en rond, alimenté par les mêmes jeux. Si seulement les éditeurs se décidaient à vouloir sortir le jeu vidéo de sa coquille, à mettre en avant ce qui est différent et qui le met au niveau d'un art... Alors le jeu vidéo gagnerait ses lettres de noblesse. Considéré comme mature et adulte. Qu'est-ce qu'il y a à y gagner ? La reconnaissance, le respect. Et ça ne s'obtient pas avec de l'argent.
Raton-Laveur, qui vous remercie de l'avoir lu jusqu'au bout.