Souvenirs d'un concepteur de jeux vidéo
La journée avait commencé comme toutes les autres : on reçoit la version de développement du jeu et on cherche les bugs. De deux façons possibles : soit on passe le titre au peigne fin, soit les développeurs nous disent de tester spécifiquement un truc : par exemple, un niveau précis en se cognant contre tous les murs et plafonds pour vérifier les collisions, tester toutes les combinaisons de touches, s'assurer que les options dans les menus changent effectivement quelque chose, vous voyez le genre. Puis ce gamin d'environ 15 ans débarque dans le bureau, pieds nus, fringué en kimono, et armé d'un nunchaku en gomme. Il commence à faire des katas pourris, raide comme un passe-lacet : s'il se prenait pour Michelangelo et pas Donatello, c'est manifestement parce que le bâton était profondément enfoncé dans son cul. Il va nous taper ? Il va casser une station de développement ? Non, il dit rien et il continue à faire tourner son nunchaku en silence. La salle s'emplit d'une odeur atroce de pieds, suffisamment nauséabonde pour évacuer les lieux et appeler Jack Bauer pour terrorisme biochimique. On l'a foutu à la porte, on a ouvert les fenêtres et je me suis recollé devant l'écran, à cogner mon personnage contre tous les murs de ce niveau pour la quarantième fois depuis que ce jeu est arrivé dans notre service de "Quality Assurance".
Pour la durée de cet article, surnommez-moi Ax Battler, parce que Golden Axe caybien, et parce que le jeu vidéo français est une toute petite famille qui n'aime pas trop qu'on raconte ses indiscrétions de cuisine. C'est raton qui écrit ce texte d'après mon témoignage, comme il l'avait déjà fait par le passé avec un vendeur de jeux vidéo. En bon français, je suis concepteur et testeur de jeux vidéo, dans le biz depuis 1999. Dans les sens les plus purs de ces termes : "concept", celui du game design, et "test", le QA pour voir si tout marche. Pour aussi dingue que cela puisse paraitre, je ne tape pas et ne connais pas une seule ligne de code, à l'exception du BASIC de notre enfance ; j'essaie juste de trouver ce que les programmeurs vont coder et vérifier qu'ils n'ont pas laissé trop de bugs.
Commençons par le commencement : par où je suis rentré dans l'industrie ? Ben, par hasard. J'étais déjà bien avancé dans des études diverses (sciences, langues, audio-visuel, j'en passe) sans savoir ce que je ferais quand je serais plus grand, et un pote me dit qu'une boite d'informatique du coin cherche des testeurs à temps partiel. Genre, un jour par semaine. Pour chercher des bugs, 400 fois le même niveau, tout ça ; ce qui ne sera pas trouvé et corrigé à ce stade sera dénoncé par les joueurs sur des forums dans des sujets longs de 30 pages où ils jureront de ne plus jamais acheter un seul jeu du même éditeur... et éventuellement, patché un jour lointain, quand les développeurs auront récupéré de leurs dernières semaines de 70 heures pour boucler le projet à temps. Le QA est rarement intégré au projet dès les premiers prototypes - on est plus souvent là au bout du chemin, quand le jeu est sur sa dernière ligne droite (quitte à ce que cette dernière parte vers le mur) qu'intégré au développement. Et j'en sais quelque chose : le premier jeu sur lequel j'ai travaillé était Superman 64. LE Superman 64, considéré par beaucoup comme un des pires jeux vidéo de toute l'histoire de l'humanité - oui, ça inclut même la période avant l'invention des jeux vidéo. Est-ce que c'était une mauvaise plaisanterie de mon supérieur, pour tester mes nerfs et savoir si je ne vais pas péter une durite après une semaine passée à me cogner contre tous les murs d'un jeu pourri ? En fait, Superman 64 n'est qu'un ratage comme tant d'autres : budget minable, agenda de développement trouvé dans un Carambar, et une équipe qui signait là sa première production sur N64. Bref.
Ainsi donc, passant mon temps d'un-jour-par-semaine à plein-de-jours-chaque-semaine à me cogner contre des murs, je rédigeais mes p'tits rapports de bugs et commentais les documents de game design des équipes quand elles avaient la présence d'esprit de nous parler de leurs projets avant qu'ils ne soient trop avancés. Du genre, voilà ce qu'on a l'intention de faire, si vous trouvez que c'est pas amusant ou que personne n'aimerait incarner une princesse captive pendant tout le jeu au lieu du preux chevalier qui vient la sauver, ça serait sympa de nous le dire. Selon les entreprises, le QA peut être invité à donner un avis plus développé que les bugs trouvés ; c'est là qu'on arrive à la frontière toute floue entre QA et game design. Un menu mal agencé, un personnage si faible qu'il en devient inutilisable, une voiture trop puissante qu'on obtient trop tôt, est-ce que ça tient du bug ? Ou d'une recommandation à l'équipe du jeu ? Et ce graphiste qui pompait des sprites sur d'autres jeux en changeant quelques pixels ? Un des grands plaisirs du QA, c'est quand les magazines de jeux vidéo font leurs tests, et qu'on va voir les développeurs avec un sourire mesquin : ah tiens, ça on vous l'avait signalé dans le rapport n°1337, vous aviez dit que c'était pas important ou que vous n'aviez pas le temps de le corriger, ben c'est bizarre, ils ont dit la même chose dans ce mag'... Pour avoir une vue extérieure sur le game design, on invitait les collégiens du coin pour des séances de playtest - c'est de là que venait le karatéka du dimanche au début de l'article.
En parlant d'article, ce texte manque de sexe. Corrigeons cela tout de suite dans ce paragraphe :
- AX Battler : Et donc un jour on a ce gars qui en foutait pas une rame, qui bossait jamais et qui passait ses journées à draguer sur MSN. On a besoin d'un rapport de bug sur son ordi, il est absent ce jour-là, et on tombe sur un fichier Zip : 80 Mo de photos de lui en train de copuler avec sa copine. Il envoyait des extraits à ses correspondantes.
- raton : Tu l'as encore ce fichier ?
- Je dois avoir un pote qui doit en avoir une copie, oui. Y'avait des photos sans visage, je pourrais te retrouver ce machin.
- Nan nan, c'est pas pour poster dans l'article sur tes souvenirs, hein.
- Ah ? Tiens, je l'ai encore sur mon disque dur. Je t'envoie ça.
- C'est purement à titre perso. Au point où j'en suis, j'ai plus aucune chance d'atterrir au paradis ou au purgatoire, alors autant en profiter.
- Tu reçois le fichier là ?
- En cours... Après tout, ce genre de pervers qui poste des photos de lui dans des positions compromettantes est systématiquement maigre comme un clou et NOM DE DIEU AH MES YEUX JE BRULE AH SAMANTHA AU SECOURS ILS SONT TOUS MORTS CAPITAINE JE VOULAIS PAS JE VOULAIS PAS CRRR
De fil en aiguille, à force de faire des recommandations sur les documents de game design, je fus invité à participer à cette étape. Du conceptuel, du théorique, on cherche ce qui plait au joueur. Ou on peaufine les paramètres du jeu, l'adhérence des voitures, le temps de rechargement des armes, la position d'un soldat, le handicap imposé à une intelligence artificielle selon le niveau de difficulté, pour que le tout soit équilibré. Là encore, on a du mal à savoir qui est game designer et qui est testeur. D'autant plus que le GD peut avoir d'autres rôles, selon la taille du projet ; s'il se retrouve à participer à l'écriture du scénario, aider à l'agencement des niveaux ou gérer l'orientation du jeu selon les puissances supérieures (marketing, programmeurs qui ne vont pas passer deux semaines à coder un détail, respect des délais), il n'y a pas de quoi paniquer.
J'ai donc bossé pendant quelques années dans un studio français à l'ambiance familiale, qui s'est mis à vite grossir, devenant éditeur, importateur, avant de finir par s'écraser sous son propre poids à cause d'une croissance trop rapide. J'étais dans les dernières charrettes de licenciements, alors que la boite, mise sous tutelle économique, bossait sur un dernier jeu dans l'espoir que son succès renfloue les caisses. Manque de pot, l'administrateur nommé par le tribunal du coin a fermé la boutique avant qu'il sorte ; il parait qu'il serait encore en cours de développement, quelque part dans un garage probablement planqué sous un bunker au milieu d'un désert.
Comment trouver du boulot ? Il y a deux grandes voies royales. Prenez des notes ! Primo, l'AFJV : c'est pas compliqué, c'est là que les éditeurs et studios cherchent de la viande, alors postez-y votre CV. Secundo, mais là c'est pareil qu'ailleurs, le bouche à oreille : restez en contact avec vos collègues qui n'étaient pas trop cons et tenez-vous au courant de ce qu'ils deviennent après avoir fait leurs cartons. J'ai toujours trouvé une place via d'anciens collègues qui m'ont recommandé à leurs employeurs.
Peu après la chute de cette entreprise, j'ai été embauché comme testeur dans un studio français qui était en train de développer son second jeu - la suite directe du premier qui avait fait forte impression. Sauf que l'équipe originale avait été virée et que leurs remplaçants avaient toujours une console à proximité avec le travail de leurs prédécesseurs en guise de document de game design... Je vous le dis tout de suite, ce fut un bordel monstre et une suite de CDD prolongés - que je fus ravi de ne pas renouveler une fois de trop pour mieux leur claquer la porte au nez. Ils n'avaient pas de QA interne et souhaitaient en créer un, car ils en avaient marre de se fier à celui de leur éditeur. Le projet était en retard et en prenait encore plus. Les managers ressortaient tous les deux mois de nouveaux agendas de développement plus surréalistes les uns que les autres, et par une alchimie proche du mental d'un troupeau de moutons, l'équipe de développement semblait y croire. Faut dire que les semaines de 70 heures - rémunérées 35, bien évidemment - devait aider... Mais non, et le jeu ratait chaque fin d'exercice fiscal et chaque "grosse période", comme les fêtes de fin d'année. L'ambiance se dégradait parmi les membres, séparés entre ceux qui dormaient carrément sur place et ceux qui tenaient - on se demande pourquoi - à avoir d'autres contacts humains que ceux de leur job. Un beau jour, la direction convoque séparément chaque camp : le premier a eu droit à une psp neuve avec un jeu, et les autres ont eu droit à un discours du genre "si vous avez pas eu votre péhessepé c'est parce que vous ne vous investissez pas assez dans l'entreprise". Un cadeau pareil à la place des centaines d'heures supplémentaires non payées... et encore : le mois suivant, les "heureux élus" remarquèrent que leur fiche de paie fut ponctionnée de 70 €, puisque la compta a respecté la loi qui amène les entreprises à prélever une partie du montant d'un cadeau fait à des employés. Yeepikay-yay.
Evidemment, ils tenaient à ce que le département QA vienne bosser tous les jours ; après avoir négocié avec mon coéquipier - dont la copine était enceinte - on a fait un jour de week-end sur deux, ramenant notre agenda à du 6 jours par semaine. Je ne vous parle pas des pressions diverses et variées pour nous encourager à "s'investir davantage". Après quelques mois, ma liste de CDD et autres prolongations est devenue trop tordue pour que les RH puissent les justifier, d'autant plus qu'à ce stade, ils croyaient que le jeu serait terminé... Ben non, allez vous faire foutre et finissez votre épisode 1.5 sans moi. A un autre gars à qui ils ne pouvaient plus proposer de CDD, ils lui ont offert un CDI à condition qu'il démissionne une fois sa période terminée - il a refusé.
Mon petit bonus de départ fut de lire les interviews mensongères des producteurs quand le jeu finit par arriver dans les linéaires : oué oué on a retardé le jeu pour ajouter plus de contenu (c'est plutôt l'inverse en vrai, tant ils ont retiré des fonctionnalités que j'avais connues sur les versions de développement), oué oué on a préféré faire un jeu peaufiné que de bâcler un truc sorti à Noël, oué oué je mange des cailloux au p'tit déj'.
Ensuite, j'ai servi dans une autre boite en tant que game designer et testeur avec un CDD de quelques mois en fin de développement du produit, pour peaufiner les paramètres du jeu, qui a eu un joli succès commercial et d'estime. C'était, encore une fois, dans un studio français. Pourquoi ne pas aller voir ailleurs, quand chacun crie à la crise du secteur national ? Si ça vous tente, vous avez ma bénédiction ! En ce qui me concerne, le seul pays qui m'intéresse par ses idées de jeux reste le Japon ; quitte à partir, autant le faire loin et longtemps. Actuellement, je suis une formation de langue via l'ANPE, avant de repartir en chasse le mois prochain, pour probablement retourner dans le dernier studio où j'ai bossé : l'ambiance y est bonne et leurs prochains projets sont intéressants. Idéalement, j'aimerais bosser chez Hydravision, le studio français qui a sorti le survival-horror-coop-beat-em-all-teen-movie Obscure, qui est vraiment amusant. Voilà, vous connaissez mon boulot, et j'ose même le dire quand je parle à des gens que je ne connais pas : je fais des jeux vidéo.
Pour la durée de cet article, surnommez-moi Ax Battler, parce que Golden Axe caybien, et parce que le jeu vidéo français est une toute petite famille qui n'aime pas trop qu'on raconte ses indiscrétions de cuisine. C'est raton qui écrit ce texte d'après mon témoignage, comme il l'avait déjà fait par le passé avec un vendeur de jeux vidéo. En bon français, je suis concepteur et testeur de jeux vidéo, dans le biz depuis 1999. Dans les sens les plus purs de ces termes : "concept", celui du game design, et "test", le QA pour voir si tout marche. Pour aussi dingue que cela puisse paraitre, je ne tape pas et ne connais pas une seule ligne de code, à l'exception du BASIC de notre enfance ; j'essaie juste de trouver ce que les programmeurs vont coder et vérifier qu'ils n'ont pas laissé trop de bugs.
Commençons par le commencement : par où je suis rentré dans l'industrie ? Ben, par hasard. J'étais déjà bien avancé dans des études diverses (sciences, langues, audio-visuel, j'en passe) sans savoir ce que je ferais quand je serais plus grand, et un pote me dit qu'une boite d'informatique du coin cherche des testeurs à temps partiel. Genre, un jour par semaine. Pour chercher des bugs, 400 fois le même niveau, tout ça ; ce qui ne sera pas trouvé et corrigé à ce stade sera dénoncé par les joueurs sur des forums dans des sujets longs de 30 pages où ils jureront de ne plus jamais acheter un seul jeu du même éditeur... et éventuellement, patché un jour lointain, quand les développeurs auront récupéré de leurs dernières semaines de 70 heures pour boucler le projet à temps. Le QA est rarement intégré au projet dès les premiers prototypes - on est plus souvent là au bout du chemin, quand le jeu est sur sa dernière ligne droite (quitte à ce que cette dernière parte vers le mur) qu'intégré au développement. Et j'en sais quelque chose : le premier jeu sur lequel j'ai travaillé était Superman 64. LE Superman 64, considéré par beaucoup comme un des pires jeux vidéo de toute l'histoire de l'humanité - oui, ça inclut même la période avant l'invention des jeux vidéo. Est-ce que c'était une mauvaise plaisanterie de mon supérieur, pour tester mes nerfs et savoir si je ne vais pas péter une durite après une semaine passée à me cogner contre tous les murs d'un jeu pourri ? En fait, Superman 64 n'est qu'un ratage comme tant d'autres : budget minable, agenda de développement trouvé dans un Carambar, et une équipe qui signait là sa première production sur N64. Bref.
Ainsi donc, passant mon temps d'un-jour-par-semaine à plein-de-jours-chaque-semaine à me cogner contre des murs, je rédigeais mes p'tits rapports de bugs et commentais les documents de game design des équipes quand elles avaient la présence d'esprit de nous parler de leurs projets avant qu'ils ne soient trop avancés. Du genre, voilà ce qu'on a l'intention de faire, si vous trouvez que c'est pas amusant ou que personne n'aimerait incarner une princesse captive pendant tout le jeu au lieu du preux chevalier qui vient la sauver, ça serait sympa de nous le dire. Selon les entreprises, le QA peut être invité à donner un avis plus développé que les bugs trouvés ; c'est là qu'on arrive à la frontière toute floue entre QA et game design. Un menu mal agencé, un personnage si faible qu'il en devient inutilisable, une voiture trop puissante qu'on obtient trop tôt, est-ce que ça tient du bug ? Ou d'une recommandation à l'équipe du jeu ? Et ce graphiste qui pompait des sprites sur d'autres jeux en changeant quelques pixels ? Un des grands plaisirs du QA, c'est quand les magazines de jeux vidéo font leurs tests, et qu'on va voir les développeurs avec un sourire mesquin : ah tiens, ça on vous l'avait signalé dans le rapport n°1337, vous aviez dit que c'était pas important ou que vous n'aviez pas le temps de le corriger, ben c'est bizarre, ils ont dit la même chose dans ce mag'... Pour avoir une vue extérieure sur le game design, on invitait les collégiens du coin pour des séances de playtest - c'est de là que venait le karatéka du dimanche au début de l'article.
En parlant d'article, ce texte manque de sexe. Corrigeons cela tout de suite dans ce paragraphe :
- AX Battler : Et donc un jour on a ce gars qui en foutait pas une rame, qui bossait jamais et qui passait ses journées à draguer sur MSN. On a besoin d'un rapport de bug sur son ordi, il est absent ce jour-là, et on tombe sur un fichier Zip : 80 Mo de photos de lui en train de copuler avec sa copine. Il envoyait des extraits à ses correspondantes.
- raton : Tu l'as encore ce fichier ?
- Je dois avoir un pote qui doit en avoir une copie, oui. Y'avait des photos sans visage, je pourrais te retrouver ce machin.
- Nan nan, c'est pas pour poster dans l'article sur tes souvenirs, hein.
- Ah ? Tiens, je l'ai encore sur mon disque dur. Je t'envoie ça.
- C'est purement à titre perso. Au point où j'en suis, j'ai plus aucune chance d'atterrir au paradis ou au purgatoire, alors autant en profiter.
- Tu reçois le fichier là ?
- En cours... Après tout, ce genre de pervers qui poste des photos de lui dans des positions compromettantes est systématiquement maigre comme un clou et NOM DE DIEU AH MES YEUX JE BRULE AH SAMANTHA AU SECOURS ILS SONT TOUS MORTS CAPITAINE JE VOULAIS PAS JE VOULAIS PAS CRRR
De fil en aiguille, à force de faire des recommandations sur les documents de game design, je fus invité à participer à cette étape. Du conceptuel, du théorique, on cherche ce qui plait au joueur. Ou on peaufine les paramètres du jeu, l'adhérence des voitures, le temps de rechargement des armes, la position d'un soldat, le handicap imposé à une intelligence artificielle selon le niveau de difficulté, pour que le tout soit équilibré. Là encore, on a du mal à savoir qui est game designer et qui est testeur. D'autant plus que le GD peut avoir d'autres rôles, selon la taille du projet ; s'il se retrouve à participer à l'écriture du scénario, aider à l'agencement des niveaux ou gérer l'orientation du jeu selon les puissances supérieures (marketing, programmeurs qui ne vont pas passer deux semaines à coder un détail, respect des délais), il n'y a pas de quoi paniquer.
J'ai donc bossé pendant quelques années dans un studio français à l'ambiance familiale, qui s'est mis à vite grossir, devenant éditeur, importateur, avant de finir par s'écraser sous son propre poids à cause d'une croissance trop rapide. J'étais dans les dernières charrettes de licenciements, alors que la boite, mise sous tutelle économique, bossait sur un dernier jeu dans l'espoir que son succès renfloue les caisses. Manque de pot, l'administrateur nommé par le tribunal du coin a fermé la boutique avant qu'il sorte ; il parait qu'il serait encore en cours de développement, quelque part dans un garage probablement planqué sous un bunker au milieu d'un désert.
Comment trouver du boulot ? Il y a deux grandes voies royales. Prenez des notes ! Primo, l'AFJV : c'est pas compliqué, c'est là que les éditeurs et studios cherchent de la viande, alors postez-y votre CV. Secundo, mais là c'est pareil qu'ailleurs, le bouche à oreille : restez en contact avec vos collègues qui n'étaient pas trop cons et tenez-vous au courant de ce qu'ils deviennent après avoir fait leurs cartons. J'ai toujours trouvé une place via d'anciens collègues qui m'ont recommandé à leurs employeurs.
Peu après la chute de cette entreprise, j'ai été embauché comme testeur dans un studio français qui était en train de développer son second jeu - la suite directe du premier qui avait fait forte impression. Sauf que l'équipe originale avait été virée et que leurs remplaçants avaient toujours une console à proximité avec le travail de leurs prédécesseurs en guise de document de game design... Je vous le dis tout de suite, ce fut un bordel monstre et une suite de CDD prolongés - que je fus ravi de ne pas renouveler une fois de trop pour mieux leur claquer la porte au nez. Ils n'avaient pas de QA interne et souhaitaient en créer un, car ils en avaient marre de se fier à celui de leur éditeur. Le projet était en retard et en prenait encore plus. Les managers ressortaient tous les deux mois de nouveaux agendas de développement plus surréalistes les uns que les autres, et par une alchimie proche du mental d'un troupeau de moutons, l'équipe de développement semblait y croire. Faut dire que les semaines de 70 heures - rémunérées 35, bien évidemment - devait aider... Mais non, et le jeu ratait chaque fin d'exercice fiscal et chaque "grosse période", comme les fêtes de fin d'année. L'ambiance se dégradait parmi les membres, séparés entre ceux qui dormaient carrément sur place et ceux qui tenaient - on se demande pourquoi - à avoir d'autres contacts humains que ceux de leur job. Un beau jour, la direction convoque séparément chaque camp : le premier a eu droit à une psp neuve avec un jeu, et les autres ont eu droit à un discours du genre "si vous avez pas eu votre péhessepé c'est parce que vous ne vous investissez pas assez dans l'entreprise". Un cadeau pareil à la place des centaines d'heures supplémentaires non payées... et encore : le mois suivant, les "heureux élus" remarquèrent que leur fiche de paie fut ponctionnée de 70 €, puisque la compta a respecté la loi qui amène les entreprises à prélever une partie du montant d'un cadeau fait à des employés. Yeepikay-yay.
Evidemment, ils tenaient à ce que le département QA vienne bosser tous les jours ; après avoir négocié avec mon coéquipier - dont la copine était enceinte - on a fait un jour de week-end sur deux, ramenant notre agenda à du 6 jours par semaine. Je ne vous parle pas des pressions diverses et variées pour nous encourager à "s'investir davantage". Après quelques mois, ma liste de CDD et autres prolongations est devenue trop tordue pour que les RH puissent les justifier, d'autant plus qu'à ce stade, ils croyaient que le jeu serait terminé... Ben non, allez vous faire foutre et finissez votre épisode 1.5 sans moi. A un autre gars à qui ils ne pouvaient plus proposer de CDD, ils lui ont offert un CDI à condition qu'il démissionne une fois sa période terminée - il a refusé.
Mon petit bonus de départ fut de lire les interviews mensongères des producteurs quand le jeu finit par arriver dans les linéaires : oué oué on a retardé le jeu pour ajouter plus de contenu (c'est plutôt l'inverse en vrai, tant ils ont retiré des fonctionnalités que j'avais connues sur les versions de développement), oué oué on a préféré faire un jeu peaufiné que de bâcler un truc sorti à Noël, oué oué je mange des cailloux au p'tit déj'.
Ensuite, j'ai servi dans une autre boite en tant que game designer et testeur avec un CDD de quelques mois en fin de développement du produit, pour peaufiner les paramètres du jeu, qui a eu un joli succès commercial et d'estime. C'était, encore une fois, dans un studio français. Pourquoi ne pas aller voir ailleurs, quand chacun crie à la crise du secteur national ? Si ça vous tente, vous avez ma bénédiction ! En ce qui me concerne, le seul pays qui m'intéresse par ses idées de jeux reste le Japon ; quitte à partir, autant le faire loin et longtemps. Actuellement, je suis une formation de langue via l'ANPE, avant de repartir en chasse le mois prochain, pour probablement retourner dans le dernier studio où j'ai bossé : l'ambiance y est bonne et leurs prochains projets sont intéressants. Idéalement, j'aimerais bosser chez Hydravision, le studio français qui a sorti le survival-horror-coop-beat-em-all-teen-movie Obscure, qui est vraiment amusant. Voilà, vous connaissez mon boulot, et j'ose même le dire quand je parle à des gens que je ne connais pas : je fais des jeux vidéo.
Par Raton-Laveur le 01 novembre 2006, 17:41 - Jeux vidéo - Lien permanent
Commentaires
Blague à part, il est toujours intéressant d'avoir le témoignage de quelqu'un pour nous montrer l'envers du décors, d'autant plus quand la personne occuppe un poste pas très haut placé, car c'est à ces endroits que l'on peut voir le pire comme le meilleur.
Sinon, pour info personnelle, est-ce que tu saurais me dire quel est le cheminement à suivre pour se faire embaucher en tant que localisateur (traducteur/adaptateur) ?
Maintenant, il va falloir lacher le nom du jeu qui a eu une suite pourris et que les auteurs n'ont pas hésité a sortir tout plein de bullshit à la presse. (dis comme ça ca pourrait être n'importe quel jeu haha)
Allez, on veut des noms et un bucher!
(éditàraton : corrigé, meh)
Shikaze, rares sont les boîtes qui ont un département de localisation interne. Nintendo en a un, les gens sont sympas et tout, mais les places sont limitées et le tout est en Allemagne - à toi de voir si ça te va ou pas. Konami délègue à des bureaux de traductions ou des traducteurs offrant des garanties - ce qui n'est pas forcément signe de grande qualité, cf la version allemande de Ark of Naphistim, mais là c'est le maniaque de Ys qui parle.
Je ne suis pas trop au courant pour Sega, à dire vrai, mais Sony fait l'adaptation en Grande-Bretagne. J'ai peut-être encore les références si tu les veux. Les petites boîtes font souvent cela à l'arrache mais le résultat est généralement correct.
Par contre le coup des CDD à répétitions c'est vrai que c'est une pratique courante. Cela dit, le salaire permet quand même de voir venir (traducteur interne japonais français >/ gros lot).
Testeur, c'est un métier dur et ingrat, mais le coup des 70h payées 35 me paraît très louche.
Crazy frog racer 2 ?
(par ou la sortie ?)
J'en ai marre de ce genre d'articles.
A chaque qu'un mec qui bosse dans le jv (testeur, pigiste, programmeur etc...) nous décrit son quotidien, on a l'impression qu'ils bossent dans une usine de déodorant pour chiottes. Il n'y en a aucun qui te dit "c'est génial ! je bosse dans les jeux vidéo ! j'en révais depuis que je suis tout petit !". Où est la passion là dedans ?
Bordel vous ne bossez pas chez mcdo ou dans la grande distribution. Vous participez à une industrie qui fait réver et vibrer des millions de gens. Qu'est ce que je vais dire à mes gosses plus tard ? Aujourd'hui papa a fait installer un VPN pour son entreprise. Super. Je serais cent fois plus fier en disant "j'ai modélisé la poignée de porte que tu es en train de tourner dans ton jeu."
Il n'y a que les mecs de Canard PC qui un jour admis avoir un boulot de rêve.
vive le choix.
et franchement le JV en France, c'est pas là qu'on risque de se sentir "important".
J'ai l'impression que ce genre d'article signifie plutôt "je découvre le monde du travail" que "c'est dur de bosser dans le jv". Ca sert à quoi de bosser 8H par jour si c'est pour y aller à reculons ? Tu passes à coté d'une bonne partie de ta vie.
Lion_Sn@ke : oui enfin des service qualité, y'en a pas qu'en France. Et c'est même pas le fait de se sentir important mais juste de bosser dans un milieu passionnant.
A part ça, mon cher Raton, je vous conseille ( oui, je vous vouvoie car votre style force le respect ), je vous conseille, disais-je, de vous reconvertir en nègre d'homme politique. Ces gens là ont de gros besoins et les élections approchent.
Je me doutais bien qu'il ne bossait pas chez Big N, c'était simplement pour dire que si Axou devient un membre influent d'une grosse boîte, il pourra balancer en toute quiétude ;)
@CBL:
Où est la passion? Probablement partie avec l'adolescence.
Reste que le JV étant une industrie, je doute que tout les employés du secteur soient des passionnés dénués de toute considération alimentaire.
Et dis toi que tu as de la chance d'être passionné par ton taf ;)
Bon pour faire rapide et simple, surtout pour CBL qui apparemment a interprété l'ensemble, ou a tout simplement mal compris.
Sur 3 grandes expériences (sur la durée), 1 seule a été négative, mais de façon énorme, en gros, 8 mois de chiottes sur 84 mois de travail dans les jeux vidéos. Quant je parle de 70 heures 7 jours sur 7 payé 35 heures je ne mens pas, et je ne parle pas que des testeurs. C'est (était) aussi valable pour les graphites, programmeurs, codeurs réseaux and co. Seules les grandes pontes ne les faisaient pas. Je veux bien qu'on soit passionné et qu'il y est des coups de bourres, mais la, je ne parle pas de 2-3 semaines, mais d'une durée qui pour moi a été de 8 mois, et pour le reste de l'équipe plus d'un an. Pour vous je ne sais pas mais moi j'appel ça de l'incompétence. Point a éclaircir aussi, essayé bosser 70 heures par semaine 7 jour sur 7 alors que votre femme est enceinte et qu'elle va accoucher, et pareil une fois l'accouchement terminé... Des volontaires????
J'ai bossé dans des boites ou les projets étaient aussi important voir plus, mais ou la vie sociale des employés et le respects des droits du travail n'étaient pas bafoués.
Et pour dernière info et pour rester vague, j'ai plus de 30 ans et ça fait plus de 10 ans que je "pratique" le monde du travail.
Et comme le termine ci bien l'article de raton : "j'ose même le dire quand je parle à des gens que je ne connais pas : je fais des jeux vidéo." Et je peux rajouter le "j'en suis fier".
Pour plus de détail n'hésitez pas a demander ici, j'essayerai d'y répondre, dans les limites fixées lors de l'écriture de cet article.
Merci à vous et à raton!!
Juste histoire que pour une fois, on essaie de centrer la session sur les jeux vidéos au lieu des dernières stupidités du moment (bien que celà ne changera sans doute pas grand chose, vous allez me dire...).
Enfin, au risque de m'attirer les foudres de ceux qui bossent la dedans, une chose est clair : quand on a un niveau exécutant (technicien, testeur, programmeur, etc...), c'est bien souvent là qu'on doit bosser comme des malades, car c'est à ce niveau qu'on rattrape les énormités pondues par les chefs. Je citerais en exemple la loi de Dilbert : tout employé incompétent est promu à la place où il fera le moins de dégats, le management. Et très franchement, pour bosser en tant que technicien depuis mon entrée dans la vie active, je peux vous assurer que ça se vérifie. Donc je comprends tout à fait Ax quand il se plaint de ce genre de cas.
Sinon je rejoins un peu CBL. Dans l'article il n'y a quasiment que les aspects negatifs qui transparaissent. J'ai aussi fait mon quotas de semaines 7jours sur 7, bosser des nuit blanche a cause de cette putain de deadline etc... mais quand j'y repense c'etait vraiment excellent avec d'incroyable souvenir et quoiqu'on en disent la vie social existe aussi au sein de l'entreprise. Votre vie de s'arrete pas aux portes de l'entreprise. Les anciens collegues de cette periode rude sont devenu de vrais amis que je vois toujours malgres les centaines de kilometres qui nous separent.
Pour ce qui est du testing, j'ai que touché du doigt cette profession et je peut dire que c'est un des pires poste dans l'industrie du jeu. Il n'y a rien de mieux pour tuer votre passion sur place.
Pour ce qui est du piston:
https://jobs.nintendo.de/ma...
En particulier Product Analysis (ils recherchent plusieurs personnes dont une fille d'apres ce que j'en sais)
Pour ce qui est de la lecture:
La société de consolation de jérémie lefebvre.
Un roman basé vaguement sur la vertiable histoire de UBI Free le "syndicat" de Ubi Soft. Le bouquin m'a fait marré et m'a aussi beaucoup enervé car le narrateur ne comprends absolument rien au jeu et regarde ce domaine avec un air de suffisance absolument abject qui explique aussi pourquoi il a été a l'origine de cette iniciative.
Pour rattraper la sauce, je vous invite à profiter de l'offre d'Ax qui vous propose de répondre à vos questions : vous voyez à son petit mot qu'il n'est pas aussi désabusé que mon texte !
(Et aussi, content de voir que Lama se porte bien ^^)
http://worldcoingallery.com...
Et lisez Highschool of the Dead. Resident evil avec des jeunes dans un lycee. Perso j'adhere ^^
Je pense savoir qui c'est mais si c'est bien lui, il n'y bosse plus depuis quelques semaines.
J'me demande ce qu'il devient, d'ailleurs...
Merci pour ce rapport croustillant. On est loin de ma petite carrière pépère de développeur indépendant ;) (Tellement que je me permets de signer de manière non-anonyme :p)
Superman64 a enfin trouvé son digne sucesseur
Tout ce que vous avez lu est certes orienté vers une idée précise, mais est parfaitement juste.
J'ai travaillé un an et demie en tant "qu'artiste" dans la fameuse boîte à la PSP (c pas ubi, c pas infogrames).
Le problème c'est justement cette fameuse passion qui va être exploité par des managers totalement étrangers au milieu des jeux vidéo. Ce sont des abrutis qui vont vous humilier en vous mettant un bonnet d'âne (pas de psp pour toi gamin) et vous répondront (je cite) "tu devrais payer pour être là, je reçois tous les jours de cvs de gars passionnés tu sais"...de pigeons oui.
Et c’est justement parce que nous sommes passionnés que nous sommes déçus de ce que nous expérimentons au contact de ses studios à la française : incompétence, phantasme du succès facile, décision à court terme, orgueil et pression morale diverses.
Le plus grand mal de cette situation est simple : Vous trouverez toujours à la tête de ses sociétés un ou plusieurs gars ayant vue « la lumière ». A partir de ce moment, il(s) cesse(nt ) de réfléchir ou d’écouter les alertes que nous, simples mortels, leurs faisons parvenir (pas faisable, pas assez de temps, stupide, marchera pas parce que…).
Au final, j’ai moi aussi claqué la porte de cette boîte de naze et j’ai travaillé cette année pour ubisoft (Red Steel sur WII et Ghost recon advance war fighter 2 sur Xbox 360/Ps3) et Quantic Dream (Heavy rain sur Ps3) et ouais, la passion est de retour et je compte bosser chez Quantic l’année prochaine, chez des gars qui réfléchissent à ce qu’ils font…Comme quoi, rien n’est perdu ^_^…
Still here, et toujours dans l'industrie ;)
A quand le round 2 de l'article mon raton ? ;)
Quand tu veux !
1 an pour voir ta réponse....quel record ^^
Quand toi tu veux ;)