(merci à Blacksad !)

Edité chez Delcourt et terminé après 8 volumes (tous parus chez nous), Togari est un manga qui a tout pour plaire : une histoire avec de nombreux éléments originaux, peu de personnages pas trop stupides, des rebondissements et un auteur qui sait où il va (Yoshinori Natsume est déjà bien avancé dans son nouveau manga, Kurozakuro). Le scénario ? Dans le Japon médiéval, Tobé, un vagabond qui survivait en usant de la force finit par se faire couper la tête. Il se retrouve en Enfer et passe quelques siècles à se faire torturer pour expier ses péchés, jusqu'au moment où on lui propose de se racheter... Sur Terre, les gens commettent des méfaits car ils sont guidés par leur côté obscur (*), leur "Toga". On confie à Tobé une épée magique, la "Togari", qui se nourrit du mal; il doit la maîtriser en utilisant sa propre noirceur tout en chassant les Togas qui se feront absorber par l'épée ; s'il capture 108 Togas en 108 jours (merci le bouddhisme), il pourra rester sur Terre... Mais lorsqu'il revient pour exécuter son contrat, il débarque en plein Japon moderne.

Tout est bien fait : le ressort comique du "voyageur dans le futur" est tenu au strict minimum, le dessin est soigné, et le peu de personnages que croise Tobé ne lui volent jamais la vedette. L'histoire est pimentée par quelques éléments scénaristiques bien trouvés : par exemple, comme le héros est un malfaiteur, il ne peut pas s'attaquer aux gens mais uniquement à leur Toga, sous peine de voir ses coups retournés contre lui; ou comme les gens sont guidés par leur Toga, ils restent en état de choc une fois que Tobé les a "libérés" - et la recrudescence de malfaiteurs retrouvés ainsi ne manque pas d'attirer l'attention d'un inspecteur de police...
On se plait à suivre Tobé : ce gars-là est paumé dans un monde presque plus hostile que lui, il dérouille du Toga à tour de bras en édifiant les gens qu'il croise, mais il continue à courir après le prochain esprit maléfique parce qu'il a pas que ça à foutre. Evidemment, il tombe finalement sur son nemesis, le genre de diable bien propre sur lui qui vous offre un Toga sur mesure en échange de quelques centimètres-cube de haine. Ce dernier se fait sa petite équipe composée de boss à battre avant d'arriver au dernier niveau, bref, tout va bien.

Fin.

C'est précisément à ce moment-là que le manga s'arrête. Et oui! Nous avons affaire à un projet tué dans l'oeuf. Rappel pour ceux qui débarquent dans le milieu des bandes dessinées au pays du Soleil Levant: le manga est une industrie (et quand on y réfléchit, c'est vrai que ça bouffe un nombre incroyable d'arbres). Les auteurs ont une vingtaine de pages à fournir chaque semaine, ils fouettent leurs assistants, ils se font engueuler par leur rédacteur en chef, ils ont les yeux rivés sur les sondages d'opinion des lecteurs, et leur histoire durera aussi longtemps qu'il en conviendra à ces enfoirés. Si ça plait, tu peux rester à raconter ton machin pendant plusieurs années, sinon tu finis dans la benne à ordures et on prend un mangaka plus neuf et moins abîmé (ou plus vieux et mieux éprouvé).
Togari est un de ces mangas qui ont été "annulés" pour une raison inconnue mais probablement liée à une quelconque et anonyme politique d'édition: sondages défavorables, besoin de faire de la place pour un autre, on ne le saura jamais et on s'en fout un peu. De notre petit point de vue français à l'autre bout du monde, on ne peut que constater la prise de risque assumée par nos éditeurs qui importent des séries toujours en cours de publication lors de leur parution chez nous et une incompréhension encore plus prononcée devant les aléas de production. On sent que le coup de hache est parfois particulièrement violent, puisque certains mangas se retrouvent terminés en 15 pages chrono... C'est le triste cas de Togari. Les seules personnes qui en achèteront désormais les volumes seront ceux qui ne se renseigneront pas pour apprendre que "la fin est à chier" auprès de ceux qui auront suivi la première édition, sûrement amers et ayant déjà revendu leurs volumes dans le pire des cas. Vous êtes prévenus: n'achetez pas Togari, la fin est à chier.



(*) désolé pour la référence à Star Wars, mais je ne fais que respecter un décret obligeant tous les sites web à en placer une avant la fin du mois. Voilà qui est fait.

(article posté en retard parce que Free n'a pas fonctionné de toute la nuit. Yay pour eux)