Sonic Rush est le jeu polémique de ce Noël. Shadow the Hedgehog est nul, Mario Kart DS est le meilleur de la série, tout ça, on est d'accord. Mais Sonic Rush, c'est ce que j'appelle un "jeu Mortal Kombat" ; je définis ainsi les titres où il y a deux camps inconciliables - on aime ou on déteste, mais on ne les trouve pas "corrects" ou "sympas". Les "jeux Mortal Kombat", on en trouve partout : Dead or Alive et Tekken (généralement, les détesteurs de l'un sont adorateurs de l'autre), Ghost Recon, Super Mario Sunshine, Final Fantasy VIII, Streets of Rage 3, Animal Crossing... A cause de ces titres polémiques, des couples sont brisés, des enfants déshérités, des rideaux tringlés.

Sonic Rush, donc, est de ceux-là. Il y a ceux qui aiment, ceux qui détestent, et ceux qui lui mettent un 9 par fanboyisme avant de se faire retoquer à 8 par leur webmaster. Même des gens de goût se déchirent : Cormano de shmup.com est pour, iGrekkess de SegaKore est contre, CBL de Push-Start est pour, Poshu est contre... Il y a quelques temps, ce genre de débat ne m'aurait pas effleuré, puisque j'achetais aveuglément les jeux du hérisson - jusqu'à Sonic Heroes, qui vient d'ailleurs d'obtenir une place dans la dernère édition de la Garbage Factory. J'ai ainsi évité le cas Shadow, mais le débat autour de Rush me laissait perplexe. Et détracteur ou admirateur, quel que soit mon choix, j'étais bon pour me faire royalement ignorer par le parti d'en face... Il n'y avait qu'une seule façon de le savoir, ainsi Sonic Rush atterrit-il sur la liste à la mère Noël. J'ai passé la nuit à veiller devant la cheminée, guettant la diffusion de Tokyo Godfathers à 5h40 sur Canal Plus en fouillant dans mes jeux Sonic : Sonic Adventure 2 Battle sur GameCube alors que j'ai déjà l'édition 10th Anniversary sur Dreamcast, et la Sonic Mega Collection + sur Xbox alors que j'ai déjà toutes les cartouches sur Mega Drive. Comme une forme de petit pèlerinage nocturne, une remémoration de ce qui fait un Sonic : la verticalité des niveaux qui inspirera d'autres titres comme Rayman, la jouabilité à un bouton, les musiques entre le classicisme des thèmes de jeux vidéo et les expérimentations de Richard Jacques et consorts... Comme la plupart des 25 décembre passés (je garde un délicieux souvenir de celui où j'ai mis mon Sonic 3 terminé dans la fente de Sonic and Knuckles), j'étais paré pour découvrir une nouvelle aventure du hérisson bleu. D'ailleurs, j'ai également reçu la Sonic Gems Collection.

J'ai rarement fait des intros aussi longues que ça.

Il m'a fallu un moment avant de comprendre que Sonic Rush a une jouabilité à deux boutons, et j'ai dû ouvrir la notice (pour un jeu Sonic, c'est la première fois que j'en ouvrais une avant d'avoir fini le jeu ! elle tutoie le lecteur !) pour découvrir que le bouton R était également utilisé. Notice contenant par ailleurs des spoilers sur le scénario - bien aimable à elle - et se terminant sur une publicité en espagnol pour Sonic Riders. Bref, la deuxième touche permet de lancer Sonic en boule avec une grosse accélération, et ce même s'il est à l'arrêt... Attendez une minute, ça ressemble pas au Spin Dash qui existe depuis Sonic CD ? Ben si, et il est toujours présent. Il est d'ailleurs trop faible pour être vraiment utile, et c'est ainsi qu'on nous force littéralement à utiliser ce "nouveau" pouvoir. Il est dépendant d'une jauge occupant toute la longueur de l'écran et dont le fonctionnement me laisse encore perplexe ; la seule chose à savoir, c'est que certains mouvements réalisables avec les trois touches sont obligatoires pour terminer des niveaux, qu'ils ne sont expliqués nulle part dans le jeu (d'où lecture nécessaire de la notice même pour finir le premier monde), et que si cette jauge est vide, vous pouvez tout aussi bien jeter Sonic dans le vide pour recommencer au dernier checkpoint.
Et parlons-en, des divers trous sans fond : c'est bien simple, même dans un Mario, il n'y en a pas tant. Comme je le disais plus haut, Sonic a inventé les niveaux verticaux : on pouvait explorer toute la zone en longueur ET en largeur, et si on se cassait la figure, il y avait toujours un plancher des vaches. S'aventurer vers le haut du niveau faisait partie du fun, et pas du fonctionnement du jeu : ce n'était pas nécessaire, quoi. L'architecture était suffisamment élégante et les pièges suffisamment bien pensés pour ne pas avoir à caser des trous partout dans le seul but de faire la nique au joueur. Dans Sonic Rush, les trous sont purement punitifs : ils sont là, et si vous cherchez à vous aventurer dans le niveau ou à fouiller un peu, vous tombez dedans. On se surprend à avancer lentement, à pas mesurés, par peur de se faire avoir... Un comble pour un Sonic, une série de jeux où le but est justement de se laisser porter par ses pas !



C'est peut-être l'élément le plus gênant de Sonic Rush : c'est un jeu punitif, au design méchant, qui a pour unique objectif de vous empêcher d'arriver à la fin de chaque niveau. Précision sur ma personne : je n'ai rien contre ce genre de jeu vidéo (masochisme ?), mais j'aime bien être au courant sur ses motivations. Si j'ai envie de jouer à un jeu dont la seule ambition est de me pousser à faire une partie de tennis avec une manette pour balle et monsieur Mur comme partenaire, si j'ai envie de jouer à un jeu dont le seul mantra est de m'enculer à sec, si j'ai envie de jouer à un jeu dont la seule raison d'être est de me faire hurler de manière quasi-bestiale devant l'écran, j'aime autant être au courant pour brancher mon crâne sur le mode "hardcore". Dans ce cas, je mets Ninja Gaiden, Ikaruga ou Metal Slug 4 dans la console. En tout cas, je n'y mets pas un Sonic. La photo ci-dessus montre la première cicatrice de ma DS (en dehors des rayures verticales sur l'écran tactile, merci Meteos), et elle a été causée par Sonic Rush. Mise à jour : pendant le combat contre le boss de la Huge Conflict Zone (un remake du boss de la Leaf Storm Zone avec une attaque one-shot-kill, youpi), j'ai jeté contre le sol la même DS. Sachant qu'elle a été achetée neuve il y a un mois, je m'étonne moi-même.

Pour en revenir à cette verticalité architecturale : jouer sur les deux écrans de la DS semble parfaitement approprié, non ? On passe de l'un à l'autre sans prévenir (regardez la vidéo sur le site officiel pour vous faire une idée), mais il ne s'agit finalement que d'un gadget. La preuve : dans la Mirage Zone (le nouveau nom de la Sandopolis de Sonic and Knuckles, la plupart des pièges étant en provenance directe de cette dernière), il y a un moment où des rochers tombent du plafond... vous jouez à ce moment sur l'écran du bas, mais la plupart des éboulements n'apparaissent pas sur l'écran du haut, complètement vide à cet instant !
Il y a ainsi des tas de petits détails qui trahissent Sonic Rush, qui montrent que le jeu n'est pas aussi millimétré et peaufiné que ce qu'on est en droit d'attendre de la part de Sega : les personnages qui se coincent entre un booster et l'angle d'un mur, les blocs à pousser qui se remettent à leur place et les ennemis qui réapparaissent dès qu'on les quitte des yeux (et qui passent à travers les blocs suscités), le thème musical de noyade qui semble être en provenance directe d'une Game Gear, le calcul du score à la fin d'un niveau qui affiche des chiffres aléatoires pendant le décompte pour faire joli au lieu de simplement augmenter de zéro jusqu'au score atteint, la rencontre entre Blaze et Cream qui est tellement irresponsable pour un éditeur de jeux vidéo que je n'oserais même pas la montrer à un jeune joueur... Attendez, je vous raconte. Alors on a un nouveau perso, Blaze (j'en reparle plus bas) qui rencontre Cream, la petite lapine qui fait tapisserie dans Sonic Adventure et monopolise le détestable anime Sonic X. Cream adresse immédiatement la parole à Blaze, lui demande de devenir amies, l'invite chez elle et lui colle au train pendant le reste de son scénario (UK:R en a une autre narration). Autrement dit, en plus d'être un exemple latent de paresse scénaristique de la part de la Sonic Team, Cream observe là un comportement antinomique à tout ce que les familles enseignent à leurs enfants, du genre "ne parlez pas aux étrangers"... Ce n'est clairement pas de bon secours aux parents de jeunes joueurs, surtout si on se rappelle qu'une écrasante majorité d'entre nous ont fait connaissance avec le hérisson bleu et le reste des jeux vidéo à un moment de notre vie où nous ignorions tout de la masturbation (façon alambiquée de rappeler que nous étions nous-mêmes des enfants, quoi). Si vous cherchez un exemple pour démontrer que les divers syndicats et autres organismes de classification ne sont que des fromages, vous l'avez - autrement, comment auraient-ils laissé passer ça ? En face, Nintendo distille toutes sortes de messages positifs dans ses titres... Et dire que nous parlons du même Sega qui a viré la trilogie Streets or Rage de la Sonic Gems Collection occidentale dans le seul but de ne pas coller une limitation d'âge aux plus de 12 ans sur la jaquette, c'est complètement navrant !

Passons sur Cream pour parler de Blaze, le nouveau perso jouable. Après les hérissons, les echnidés, les renards à deux queues et tout le reste de la ménagerie du monde à Sonic, Blaze est une chatte. Pour le look, pensez à Rouge la chauve-souris en moins pute ; pour le reste, elle saute moins haut que Sonic, court moins vite que Sonic, et fait penser à Knuckles - elle peut même planer ! D'ailleurs, les deux persos ont beaucoup en commun : relation rival/ami avec Sonic, embobiné par Robotnik, perso énigmatique au premier abord... Vous voyez le genre, et ceux qui pensaient que Shadow était déjà un doublon de Knuckles en seront pour leurs frais avec un nouveau clone. Digression : depuis Sonic Adventure 2, les potes à Sonic commencent sérieusement à monopoliser l'écran aux dépens du hérisson. Avant SA2, les jeux gravitaient autour de sa personne : l'histoire de SA était certes jouable avec tout le monde, mais il gardait la part du lion - ou du hérisson. Dans l'épisode suivant, Sonic n'a pas eu beaucoup de temps d'antenne - et tout a empiré à partir de là, Sonic Heroes arrivant sur ce fait. Autrement dit : avant, Sonic pouvait sauver le monde à lui tout seul, mais avec le temps, il est devenu incapable de se démerder tout seul... La logique inverse a pourtant tendance à légèrement mieux fonctionner (cf. Dragon Ball Z). Et ça n'a rien à voir, mais une autre mauvaise habitude a tendance à persister dans les Sonic post-SA : le perso qui saute en boule pour tuer un ennemi, puis retombe avec les membres bien écartés dans une pose vulnérable après éradication de la menace, bien évidemment sur un autre ennemi qui vient le cueillir au sol : énervant au possible (on voit ça contre les boss fights dans ce jeu). Bref, un énième nouveau perso débarque dans Sonic Rush.
Par ailleurs, ça parait dingue, mais on dirait que l'histoire de Blaze pour la version française semble plus fournie en fautes d'orthographe que celle de Sonic ! Les niveaux étant les mêmes (mais dans un ordre différent, son premier niveau étant par exemple le quatrième de Sonic) pour les deux persos, l'aventure de Blaze semble finalement plus difficile parce que le perso est moins "efficace" que le hérisson, un peu comme Resident Evil joué via Jill ou Chris. Et à l'instar de RE, Rush est un jeu difficile, tout du moins pour un Sonic. Sûrement le plus dur de tous, en fait : autant je ne sais même pas à quoi ressemble l'écran de Game Over de la plupart des épisodes, autant je peux affirmer que celui de Sonic Rush est très moche. Seulement, une grande partie de la difficulté de ce jeu est dûe au fait que contrairement aux autres opus du hérisson bleu, il n'est pas réglé comme une horloge suisse ; les niveaux sont certes énormes, mais ils n'ont manifestement pas été élaborés sur du papier à musique. Et je vous jure que quand on a Gunstar Future Heroes dans le port GBA de la DS, ça saute aux yeux ! En parlant de musique, j'aime bien celles du jeu (là encore, le site off' est généreux en extraits) : après tout, c'est Hideki Naganuma qui est aux platines, donc le résultat ne peut être que bonnard - et il l'est.

Vous l'avez compris depuis le titre de l'article : Sonic Rush est une énorme déception. C'est un jeu de plate-formes tout juste correct à la difficulté épicée, ce qui est à peu près l'inverse de ce qu'on attend d'un Sonic, série de jeux au gameplay poli comme un diamant, à la courbe d'apprentissage inexistante, et à la progression parfaite pour jouer sans la moindre prise de tête. C'est peut-être un bon jeu (en tout cas, je me refuse à aller au delà de "correct"), mais ce n'est pas un bon Sonic. Ce qui n'est pas le cas des autres aventures récentes en 3D de la clique à la Sonic Team, qui sont elles de véritables ratages... Bien maigre consolation.