Avec l'impressionnante quantité de japanime disponible en France, nombreux sont ceux qui oublient que le Japon est toujours
à l'autre bout du monde. Un pays complètement différent, au
langage encore plus complexe que le nôtre, et avec des règles de business particulières. Ce n'est pas toujours facile d'importer tout ce que nous regardons, lisons et jouons. Le temps passe, mais la télé remplit encore son quota de
reportages à la con, et on tombe régulièrement sur la "mode manga" et autres "
japan maniacs", comme si tout cela n'était pas présent sous nos latitudes depuis trente ans. Car devant la télé, il y a régulièrement un esprit commercial qui voit là une manne d'argent et qui fera sa boutique pourrie ou
partira au Japon en se prenant pour le roi du pétrole, y honorant l'excellente réputation du gaijin parfaitement con et irrespectueux. C'est difficile d'obtenir tel DVD ou tel contrat quand les japonais se rappellent de
l'affaire Goldorak ou se font arnaquer lors d'une convention sur notre continent. Comme partout, il y a des brebis galeuses dans le milieu.
L'histoire que je vais vous raconter a commencé avec un paragraphe dans mon
dossier de l'Epitanime 2004 (page du dimanche), continué avec quelques phrases dans
celui de l'Epitanime 2005, et pourtant, ça ne se termine que maintenant. Je parle de ma petite enquête sur Japanim-Sud, la convention de, euh, japanime, dans, euh, le sud. De la France, s'entend. Certes, des évènements pareils qui sont annoncés mais n'apparaissent jamais, il y en a quinze à la douzaine, à l'image de leurs organisateurs,
réunis en associations loi 1901 pour donner un vernis de légitimité sociale à leur otakisme. Sauf que là, non ; c'était financé par une société multinationale avec les moyens d'y arriver, mais qui avait chargé la mauvaise personne de s'en occuper.
Je vous préviens, ça va pas être joli
Ca commence donc en Suisse, avec une petite boutique de japanime comme nous en connaissons tous. Epris d'expansion, le patron ne veut plus se limiter à la revente de produits, mais carrément à leur import. Et pour illustrer ces échanges avec le Japon, créer un évènement où ils pourraient ainsi fournir eux-mêmes articles et invités. Pour s'occuper de tout ça, ledit patron trouve un certain Vincent Le Parc. Qui part au Japon tisser des relations, et y crée une société au nom de la boutique originelle. Ca se déroule plutôt bien, puisqu'ils ont aidé à la venue de Mai Yamane (chanteuse, entre autres, des génériques de fin de
Cowboy Bebop) au Cartoonist 2002. Le temps passant, les ambitions grandissent ; il devient question de créer également un service de traduction d'animes, permettant ainsi aux éditeurs japonais de vendre leur came en territoire francophone sans passer par d'autres collaborateurs locaux. Et encore cette idée de faire une convention pour démontrer tout ça...
Pause. C'est qui, ce Vincent Le Parc ? Mes traces les plus anciennes remontent aux années 90.
Etat des lieux de l'époque : pas d'internet, des fansubs clandestins créés sur Amiga et distribués sur VHS, et une boutique parisienne, Tonkam. Player One et Consoles+ y nourrissaient leurs pages, peu de gens râlaient devant la richesse de l'offre au Club Dorothée. Qui censurait à la hache, mais hey, on avait des mercredis matins longs de quatre heures entre
Saint Seiya,
City Hunter,
Dragon Ball Z et j'en passe. AnimeLand était un fanzine, et les gens influents de l'époque tenaient sur une table de restaurant. Littéralement, d'ailleurs : chaque samedi, une ou deux petites associations de passionnés organisaient des gueuletons à Paris, où se retrouvaient ceux qui fonderaient plus tard Kaze ou Japan Vibes. Le boui-boui qui faisait office de lieu de rencontre s'appelait le Tenshi Bar, et l'association la plus importante à l'époque s'appelait Otaku New Wave. Qui deviendra Jade, organisatrice d'une certaine Japan Expo, qui eut lieu en 2000 à l'école d'informatique Epita. Avant que Jade se tire avec le nom pour créer sa propre convention, pendant que les étudiants d'Epita continueront cet évènement sous le nom d'Epitanime.
La seconde association s'appelait Made In Japan, précisément créée par ledit Vincent Le Parc. Ses membres allaient au Tenshi Bar et passaient quelques VHS. Il y rencontrera une japonaise, qu'il épousera avant de partir au Japon, et avant de se faire embaucher pour créer un évènement dans le sud de la France. Vous me suivez ? Fin de la pause, on continue.
En 2004, un bureau francais est ajouté aux vitrines suisse et japonaise. En fait de bureau, il s'agit juste d'un pied-à-terre pour remplir le carnet d'adresses, dirigé par le président d'une association de promotion des sentai/tokusatsu et un staff de même pas dix personnes (en comparaison, il faut plus d'une centaine de personnes pour qu'Epitanime puisse exister). Mais il faut bien comprendre qu'ils ont toutes les chances de réussir : les conventions dans le sud sont anecdotiques au mieux, ils ont des moyens financiers plus conséquents qu'une bête association de fans, et des contacts au Japon. Mi-2004, ils hésitent entre trois lieux pour l'évènement : Toulon, Montpellier et Marseille. Toulon, en raison du passif Cartoonist, bien sûr, mais qui risque de causer quelques problèmes avec la municipalité, justement échaudée par cette expérience. Marseille est ensuite écartée puisque le Cartoonist a sorti des affiches y annonçant sa renaissance (pour
le résultat qu'on sait). Fin 2004, ce petit monde sera viré par Vincent, qui garde les carnets d'adresse et le boulot déjà fait auprès des salons. Pour cette année de travail, le gars à la tête de cet office francais empochera 150€. Voilà pour Japanim-Sud, qui même si elle n'a jamais existé, aura probablement contribué à faire passer les otaques pour une bande de comiques auprès de quelques offices municipaux.
Pendant tout ce temps, Vincent Le Parc n'a jamais quitté le Japon, continuant à y traîner ses guêtres. Il croise le chemin de talentueux fanzineurs francais, que vous connaissez peut-être. Indice : ils ont fait l'affiche des Japan Expo 2001 et 2004 ainsi que
la couverture de Game Fan 3. Talentueux au point que la Shueisha, la célèbre maison d'édition japonaise, leur demandera de faire les illustrations d'un roman. Mais voilà, les p'tits francais ne lisent pas assez le sushi pour piger l'histoire ; Vincent se propose pour traduire la chose, sauf que le résultat sera bâclé et livré en retard. Et pour cause : malgré ses années passées sur l'archipel, lui-même parle japonais comme une vache espagnole, et il avait engagé un nègre pour faire la traduction. Les dessins livrés aux japonais seront régulièrement refusés, le projet prendra du retard, mais sortira finalement dans la souffrance. Même si un second tome est prévu, il reste dans les limbes... Encore un exemple où les francais passent pour des rigolos, ce qui ne manque pas de faciliter la tâche au prochain à passer dans les bureaux nippons. Je pense que vous commencez à voir la ligne directrice de ce texte.
Après avoir lâché l'affaire Japanim-Sud, il part se faire employer dans d'autres boites nipponnes, dont un éditeur d'art-books. Indice : si vous aimez Range Murata ou Yoshitoshi ABe, vous avez un de leurs ouvrages sur votre étagère. Le même ABe qui est
passé à Epitanime 2007 et à Polymanga 2005 en Suisse... et c'est justement lors de ce dernier évènement qu'on retrouve Vincent. Engagé par la boutique suisse présentée en début de texte, il fait venir ABe. Puis à Polymanga 2006, toujours sous l'égide du magasin suisse, c'est Range Murata qui est invité. Vincent vend des artbooks de Murata : il remplit sa tâche... avant de disparaître avec la caisse, soit un million de yens (voir mise à jour en fin de texte). Le genre d'incident qui n'a pas facilité la venue d'ABe (qui travaille régulièrement avec Murata) à Epitanime 2007, vous en conviendrez.
Et ensuite ? Fin 2006, il ressort des brumes pour
annoncer que Japanim-Sud est toujours d'actualité. Puis on en arrive à aujourd'hui... Il bosse à Akihabara, le célèbre quartier de Tokyo, dans une célèbre chaîne de magasins d'informatique au logo tout bleu. Pour vous dire combien le monde est petit, Vincent connait l'adorable
Sébastien Jarry, ce dernier enchaînant les baitos dans les restaurants ou les boutiques entre quelques passages à la radio ou à la télé. Mais même s'il est recherché par pas mal de gens à qui il doit de l'argent (dont sa belle-famille japonaise), il ne se cache pas vraiment. Quand l'éditeur des artbooks le retrouve et lui demande l'argent disparu en Suisse, ce dernier finit par accepter de rembourser à pas de fourmi, prétextant une mauvaise situation financière. Sauf qu'il y a deux petits éléments qui ne rassurent pas. Primo, ses emplois sont systématiquement des "baitos", des jobs à la journée sans contrat de travail, d'où il peut s'envoler sans crier gare. Secundo, il a récemment déménagé - et croyez-moi, un déménagement au Japon, ça coûte très cher.
Mais lors du dernier week-end de décembre 2007, c'était le Comiket 73... Et qui était en train de se promener sur les stands de mangakas et designers réputés ? Vincent Le Parc. Et vous voulez savoir le mot le plus fin de l'histoire, celui qui m'a fait lâcher mon stylo pendant que je faisais mes recherches ? "Vincent Le Parc" n'est qu'un nom d'emprunt. L'impétrant s'appelle en fait Vincent Maltese, mais il a même utilisé le nom de Vincent Martinez. Vous vous souvenez de l'intro de cet article, où j'écris que pour chaque brebis galeuse, la diplomatie des otakus prend du plomb dans l'aile ? Je ne me sens aucunement investi d'une mission de nettoyage, mais à la lumière des agissements de certains, il y a des jours où l'on doit fermement rouler un magazine et donner un bon coup sec. Ce que je fais.
Mise à jour : Depuis la publication de cet article (qui a été
repéré par Nonoche, merci !), de nombreuses personnes ayant bossé avec M. Le Parc ont réagi dans les commentaires. On trouve des gens qui ont participé à la fondation de Japan Vibes, qui bossent chez Mandarake, qui ont traduit nombre de mangas que vous avez dans votre bibliothèque ou organisé des conventions... Et c'est unanime : les informations de ce texte y sont confirmées, beaucoup ajoutant leur propre expérience avec le monsieur. Même
JPopTrash est passé pour admettre que
le portrait du fan mythomane était basé sur Vincent Le Parc. Puis Vincent en personne est venu, a fait quelques réponses, puis m'a lancé un ultimatum, exigeant que j'en dise plus sur mes sources, sous peine de plainte et tout le reste. En particulier, il tenait à savoir d'où je tenais le chiffre d'un million de yens, somme que j'attribue à la caisse de Polymanga avec laquelle il se serait envolé. Gag :
il ajoute lui-même qu'il n'a pas une dette d'un million de yens, mais de 120 000 yens, avouant ainsi lui-même qu'il a effectivement "oublié" de rembourser de l'argent à un éditeur. En-dessous, j'explique par le menu cet élément de l'article. Ah oui, et j'en profite pour montrer qu'il a menti à plusieurs reprises dans ses explications.
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