Le 28 février, c'était le cinquantième anniversaire de la parution d'un numéro du magazine Spirou où Gaston Lagaffe apparaissait pour la première fois. Tout ça pour dire que je ne suis pas en retard, vu que cet anniversaire dure techniquement une semaine. Bref.

L'éditotaku s'efforce généralement de limiter au maximum l'utilisation de la première personne, mais soyez prévenus qu'il y va y avoir une sacrée tranche d'autobiographie dans le texte qui va suivre.

Même si j'ai fini par devenir un otaku-dans-le-mauvais-sens-du-terme pur sucre, je ne suis pas sans avoir quelques connaissances du reste de la bédé. Il y a du Frank Miller en cours de relecture au pied du lit (Dark Knight Returns, si vous teniez à le savoir), et j'ai commencé avec du franco-belge des plus classiques. Papa raton m'a éduqué avec Tintin, les Bidochon et surtout, Gaston Lagaffe. Une collection d'albums de Franquin qu'il achetait à leur sortie quand il était étudiant, où le quatrième de couverture était une publicité pour le prochain album relié, "à paraître prochainement".

Je le réécris pour que ça rentre, parce que j'ai toujours du mal à y croire. Une putain de collection complète de Gaston Lagaffe en putain de première édition. J'estime ces ouvrages plus hautement que n'importe quel autre assemblage de papier rencontré dans ma courte vie.

Ils ont forgé mon enfance et sont responsables en bonne partie de pas mal de mes traits : ma démarche même semble être influencée par le héros sans emploi, paresseusement vautré dans une carcasse négligemment habillée. C'est Gaston qui m'encourageait à transformer mon lit en véhicule à l'aide de Lego ou à construire un igloo avec mes livres. Ouais, vous pouvez ajouter ça au dossier "les bédés/jeux vidéo/dessins animés rendent con et/ou violent". Le touche-à-tout bêta qui pond des trucs génialement débiles, inventeur geek avant l'heure, nerd franco-belge à une époque où les nerds n'existaient pas. Avec leur humour, aussi ; dans l'album 13 (1979), Gaston, parlant bricolage, dit "vaudrait mieux ne pas confondre la ponceuse à moteur avec le vibromasseur." Et à la manière de ces mangakas qui prennent plaisir à mélanger texte et dessin dans des idéogrammes d'onomatopées intraduisibles, Franquin signait chaque planche avec son nom graphé d'une façon différente, avec des lettres qui s'envolaient ou fuyaient l'agent Longtarin.

Ce même Franquin était à l'étroit aux éditions Dupuis, qui déjà protégeaient leurs licences avec le soin maniaque d'un producteur de cinéma américain. Ainsi, Fantasio dégagea des pages du gaffeur quand son auteur cessa de dessiner les aventures de Spirou (série qu'il traitait de "cadeau empoisonné"), pour question de droits. Spirou et Fantasio, la même série qui va changer de duo créatif pour son cinquantième album, après un quarante-neuvième aux couleurs du Soleil Levant et deux autres histoires à la qualité fort contestée. Alors, Franquin mettait ses idées les plus noires chez un autre éditeur. Pour en revenir à Gaston Lagaffe, Dupuis prend plaisir à traire la vache à lait, en publiant des dessins refusés "à l'époque", d'abord dans un album-ramasse-tout publié à la mort de Franquin, et à présent dans un autre foutoir honteux et recyclé dans les bacs pour ce cinquantième anniversaire. Mais je crois qu'au milieu des pages "inédites" ou "jusqu'ici uniquement publiées dans un album collector" (que j'avais déjà, forcément), les éditions Dupuis finirent par publier une planche édifiante que Franquin avait faite pour Amnesty International. Pardon, édifiante. Je l'ai en poster, et vous pouvez la trouver dans la réédition en album n°19 - car Marsu Productions (éditeur ayant pris la suite de Dupuis pour les droits) en a profité pour chambouler la numérotation des albums originaux, qui allaient de 0 à 14. Gaston s'y endort en lisant dans le journal les récits de "pays où les gens n'y sont jamais tranquilles", et cauchemarde sur les supplices infligés. Et même si ce n'est qu'en ombres chinoises, on y voit - entre autres - Gaston se fait électrocuter les organes génitaux à la gégène ou... le viol de Mademoiselle Jeanne. Montrez ça à un gosse de huit ans lagaffomaniaque, affichez-le dans sa chambre, laissez mijoter jusqu'à l'âge adulte et admirez le résultat sur le présent site internet.

Plus que Sonic, le Nutella ou Akira Toriyama, c'est Gaston Lagaffe qui a fait de moi ce que je suis, avec cette passion pour les trucs technoïdes, débiles, vains et paresseux. Et pourtant, c'est mon héros.