Cette colonne aborde volontiers le monde merveilleux des visual novels... Quand l'occasion se présente. Ces romans digitaux, qualifiés de jeux vidéo puisqu'ils permettent de décider du déroulement de l'histoire via des choix multiples, à la manière d'un livre dont vous êtes le héros. Vous pouvez trouver sur l'éditotaku des articles sur des visual novels pour adultes, des traductions françaises, des tutoriaux, des présentations...

Certains, comme le sanglot des cigales, ne laissent aucun choix et racontent l'histoire avec l'aide du multimédia : musique, images, sons, voix... On les qualifie alors de kinetic novels. Mais j'écris ça juste pour faire plaisir aux crétins pointilleux qui flinguent la motivation en postant un commentaire acerbe descendant tout l'article pour un détail au coin d'une phrase. Et comme je vais parler de ce qui est possiblement le premier visual novel français, je les vois venir, me sortant un obscur projet de qualité douteuse juste pour me contredire. 

Est-il encore besoin d'indiquer que cet éditorial est subjectif ? Le jeu abordé aujourd'hui, Anamnesis, est une création du studio No-Xice, des amis de longue date (dont la visite est toujours conseillée) avec icône flottant dans la barre de favoris sur votre gauche... Et dont un des membres, Torog, a écrit ici-même une présentation de Jojo's Bizarre Adventure et un article fascinant sur le monde merveilleux des fanzines en conventions. Le même Torog qui a pondu le scénario d'Anamnesis, un jeu qui a occupé les sept No-Xiciens pendant toute l'année 2010. 

Pour la technologie, rien de magique, ils ont pris Ren'Py pour garantir une compatibilité Windows/Mac/Linux. Torog a écrit les textes, les dessinateurs de l'équipe ont fait l'ensemble des (300) postures de personnages et des artworks, les arrière-plans étant des photos retouchées à la manière d'Higurashi. Ils se sont également offerts le luxe d'une bande sonore originale ; pour rappel, bien des projets amateurs comparables chez les japonais se contentent du silence (le joueur a bien un iTunes qui tourne en permanence sur son ordi, donc pourquoi se fatiguer) ou de musiques libres de droits.

Notez le "chez les japonais" de la phrase précédente. Qu'en est-il des fromages-qui-puent ? Devant la facilité de développement (peu de code à écrire, des moteurs de jeu tout prêts, pas de 3D et peu de 2D à fournir, pas d'animation, musique et sons en option), de nombreux projets sont régulièrement annoncés... et aucun de sérieux semble n'avoir abouti. En dehors des produits commerciaux genre Phoenix Wright ou Hotel Dusk: Room 215, s'entend ; même si je ne renie pas leur existence, ils restent anecdotiques chez nous face à ce qu'on trouve sur les étalages nippons.

Et qu'on ne me dise pas qu'il n'y a pas d'audience chez nous pour ces jeux, tant je suis persuadé que l'on est dans un cercle vicieux "pas de produits, donc pas de public / pas de public, donc pas de produits".

Historiquement, je pense à datingsim.com du studio Tanuki, qui hébergeait il y a longtemps un jeu en flash assez amusant, mais plus une simulation de drague (dating simulation) qu'une véritable histoire digitale. Même en demandant à l'équipe de traduction Kawasoft ou en fouillant sur des bases de données, on ne trouve rien de bien folichon qui n'ait déjà été cité plus haut. Si vous trouvez mieux, éclairez-moi dans les commentaires.

Cependant, la traduction en français de visual novels semble tout de même moins déserte que le domaine de la création. Même si là encore, beaucoup de projets n'ont jamais abouti, on peut évidemment citer les VF de Saya No Uta (*), Narcissu et True Remembrance en téléchargements gratuits, Higurashi où PbSaffran, le traducteur, a poussé le vice jusqu'à obtenir une certification PEGI (*)... Les trois derniers cas sont d'autant plus notables qu'ils ont eu l'honneur d'une diffusion officielle et physique, avec disque, boîte, jaquette et tout le toutim. Sinon, la quasi-totalité des traductions se limitent à des patchs bien souvent officieux - voire réalisés dans le dos des auteurs originaux dans le cas d’œuvres commerciales - que l'on applique par-dessus une version japonaise achetée sur DLsite... dans le meilleur des cas. 

Ainsi donc, Anamnesis semble être le premier véritable visual novel réalisé en français. Etant issu d'une équipe de fanzine, il s'agit donc d'un doujin work bien de chez nous, vendu en convention avec son CD et sa jaquette pour une dizaine d'euros. Il sortira la semaine prochaine pour Paris Manga, et sera mis à jour avec le retour des premiers joueurs pour les évènements suivants. Et comme j'ai eu l'occasion d'y jouer en avance, je peux vous écrire cet article.

Here comes Justice !

Le scénario a le mérite d'être original, vu qu'il ne s'agit pas d'une énième histoire d'amour comme on en trouve si souvent dans les VN. Un otaque et son pote partent à Paris pour la plus grosse convention européenne de japanime, le Japan Market, dont les lieux et plannings sont amplement inspirés de la Japan Expo. On a donc droit à une massive parodie des phénomènes vécus, narrés et filmés par vous et moi, des free hugs aux cosplayeurs bizarres en passant par les dédicaces, les files d'attente, les conférences d'invités... Comme un des deux personnages est "vierge" de cet univers, les descriptions sont suffisamment détaillées pour qu'on se trouve presque face à une sorte de simulateur de convention, l'odeur de transpiration en moins, tout en lâchant des références à tout bout de champ pour les plus cultivés. Et comme le jeu n'est disponible qu'en conv', les auteurs savent que leur lectorat connaîtra suffisamment ce monde pour ne pas être complètement largué. Malin. 

Autoréférentiel

L'histoire évolue ensuite en ajoutant des éléments fantastiques, sur l'axe assez novateur pour un VN que d'ajouter des éléments d'imaginaire dans la réalité, dans un lieu précisément dédié à l'irréel. On se retrouve par exemple avec des personnages médiévaux qui se relatent leurs souvenirs de guerre au milieu de visiteurs qui prennent leurs récits pour un spectacle de cosplay... La seconde moitié du jeu se concentre sur le scénario et met un peu de côté l'humour omniprésent au début. Même si No-Xice avait un peu conscience d'être le premier studio à créer sérieusement un VN francophone, l'équipe ne s'est pas limitée à une histoire bateau pour le simple fait d'être bêtement "preums" ; on a affaire à un sacré pavé et une vraie chronique à raconter. En prenant des notes et mon temps, alors qu'on m'avait présenté quatre à cinq heures de jeu pour boucler l'aventure, j'en ai eu pour douze heures. 

AutoréférAxel ?

Cependant, il y a quelques longueurs au bout du chemin. Même si on ne sent pas une intention délibérée de délayer la sauce, le cinquième acte (sur six) contient deux flashbacks, l'un étant étant carrément trop long et l'autre non seulement inutile, mais même carrément douteux. Obtenir les six fins ne demande pas de recommencer le jeu du début, puisque toutes les décisions sont prises lors d'une conclusion que l'on peut aisément recommencer - un arbre des décisions est même débloqué en bonus si on sèche face aux différents choix. Autre idée innovante : un sondage est mis en place pour voter sur Internet en faveur de sa fin préférée afin d'aider les auteurs à écrire une éventuelle suite... Manque de pot pour moi, aucune fin ne m'a vraiment plu parmi les six - pas même la fin yaoi

Mais grâce à la flexibilité du projet, créé par une équipe prête à corriger un produit qui vient tout juste de sortir du four, les quelques longueurs ou fautes de français seront aisément amendées lors des prochaines révisions. Au final, Anamnesis est une production de qualité, sérieuse et imposante dans le milieu du fanzinat français, et une étape importante dans le domaine des visual novels francophones. La preuve tangible et physique qu'un tel projet est possible, qui devrait ainsi motiver ceux qui planchent sur un jeu similaire à le terminer. Non seulement pour qu'il ne reste pas un objet unique en la matière, mais aussi pour qu'on y joue ; ce n'est pas pour rien que j'ai commencé cet article en rappelant combien il y a un public pour les visual novels en français. Public qui va certes se repaître d'Anamnesis, mais qui quelques heures plus tard, en aura recraché les noyaux et demandera autre chose. Pourvu qu'on l'entende.

Mise à jour : démo d'Anamnesis pour Windows, Mac et Linux.

 

Pendant ce temps : session IRC ce soir, comme chaque dimanche à 21 heures ! #editotaku@irc.nanami.fr , comme toujours. Et en joyeux bonus, Torog, le chef de projet, scénariste et écrivain d'Anamnesis, sera là pour répondre à vos questions sur le jeu avant la mise en vente la semaine prochaine à Paris Manga.